Southwind_E01 – 29. 01. 2021

C'est notre troisième semaine sur place à la Nouvelle-Orléans, nous ne voyons plus beaucoup l'équipe de tournage, seulement de temps en temps quand ils ont besoin de la voiture, d'être déposé quelque part, ou pour partager un repas. Comme des adolescents qui vivent sous le même toit que leurs parents.

Notre temps, nous le passons à la distillerie où la céréale que nous avons récoltée est transformée en moonshine, Erik le master distiller, est en charge de cette opération, nous lui prêtons main-forte lorsque c'est utile, mais notre rôle est davantage d'observer. Entre deux périodes de fermentations, nous essayons de rencontrer les opérateurs culturels de la ville pour essayer d'organiser la suite à savoir la présentation du produit dans quelques jours puis la présentation du film dans quelques mois.

De producteurs de cinéma à directeurs de musée, en passant par les intermédiaires diplomatiques, nous tentons tout ce que nous pouvons. Notre challenge est de faire soutenir institutionnellement un projet qui n'en fait pas partie. Le financement même du projet qui consiste à faire préacheter des bouteilles de moonshine pour nous permettre de réaliser le voyage n'est pas un mécanisme commun dans la production d'objet artistique. Ce statut hybride entre la production d'un produit de consommation et de connaissances nous parait pourtant plus que jamais rencontrer les mêmes enjeux.

Contrairement au précédent projet où nous avions transformé notre bateau en tonneaux, Mark a suggéré dès le départ ne pas faire disparaître celui-ci. Proposant de le vendre à la fin du projet afin de colmater partiellement le déficit de nos finances. Je n'étais pas vraiment pour car à l'inverse, je voulais que ce bateau disparaisse à la fin, je voulais nous voir le découper en petites planchettes que nous aurions mises une à une dans la chaudière connectée à l'alambic. L'idée que le bateau devienne distillerie me séduisait davantage et nous aurions été débarrassés de ce bateau. Mais au vu de l'état de nos finances, je me suis rangé à la proposition de Mark.

Nous n'avons pas réussi à le vendre lors de notre présence à NOLA, ce n'est que quelques jours plus tard que « XXX » est venu le chercher, il habite un peu plus au nord, près d'un lac où Southwind va prendre sa retraite. XXX et moi sommes amis sur Facebook, j'ai récemment vu une photo du bateau avec un gigantesque drapeau sudiste flottant au-dessus de lui. Cette vision m'a désarçonné, ce vaisseau que nous avons partiellement construit et conduit jusqu'ici se voulait être un symbole d'ouverture, d’accès vers « l'autre », de rencontres, d'échange, d'enrichissement réciproque, il est aujourd’hui l'ambassadeur des valeurs très éloignées.

Notre voyage s'est fait dans l'Amérique de Trump avant la crise sanitaire du Covid qui allait éclater à peine un mois après notre retour. C'était pourtant une période déjà troublée où les codes et les valeurs s'affrontent à coup d'humiliations, d'injures et d'outrages. Lorsque j'écris ces lignes, un deuxième impeachment est intenté contre le président Trump au nom de son appel à envahir le Capitole, invasion qui aura causé la mort de 5 personnes et imprimé pour longtemps dans nos mémoires ce drôle de mec blanc habillé en natif américain, coiffe de bison sur la tête, peinture de guerre Confédérée sur le visage hurlant à empêcher l’officialisation de la victoire du président-élu Biden.

Il ne reste que 9 jours au président Trump pour aller jusqu'au bout de son mandat et de son projet et je ne vendrais plus jamais aucun de mes bateaux, je préfère les voir brûler.